Le Rabbi Jeshua
Il faut prendre conscience que le nom de Jeshua, lui aussi, était celui d’un grand nombre de personnes. Il existait même un autre rabbi qui le portait, ce qui provoqua, dans les premiers temps, un peu de confusion car son origine était également galiléenne!.
Le Maître, Lui, n’avait pas toujours porté ce nom.
Nous étions peu à le savoir. Ceux qui étaient issus de la Fraternité essénienne des villages et qui avaient été instruits au Krmel – c’était son cas – se voyaient parfois attribuer un nouveau nom. Ainsi, le petit « Joseph,,2 que j’avais connu durant mon enfance ne devint-il Jeshua que lors de son séjour formateur au Krmel.
Avant que de faire appel à mes souvenirs pour parler du Maître qu’Il devint, je voudrais d’abord évoquer le rabbi – ou encore le « rabboune » comme nous disions parfois affectueusement – c’est-à-dire l’homme que nous côtoyions presque quotidiennement. En effet, un Maître de Sagesse, fût-il destiné à être investi par la Présence du Christ, est d’abord et avant tout un homme, ce qui signifie un être « obligé » de composer avec les lois de ce monde. Je comprends que cette vérité puisse en choquer plus d’un mais il faut pourtant qu’elle soit dite. Elle n’a d’ailleurs rien qui puisse diminuer ou ternir l’image et l’œuvre d’un Maître, bien au contraire. Quel mérite y aurait-il à incarner la Maîtrise de la Sagesse et à être habité par une Force supra-humaine sans avoir à oeuvrer sur soi-même pour révéler sa propre essence divine? La vraie grandeur vient toujours de Ce que l’on s’efforce de cultiver et de la quantité de « plomb humain » que l’on parvient à transmuter en or spirituel au fond de soi.
Ainsi le « petit Joseph » – lui-même fils de Joseph – qui avait grandi dans une communauté villageoise essénienne avant de passer par l’École terriblement formatrice du Krmel a-t-il dû, comme tout un chacun, se soumettre à une discipline exigeante afin de faire ressurgir avec éclat la magnificence de son être.
Lorsque nous passions de longues soirées à ses côtés, il était très rare qu’Il acceptât d’en parler. Tout ce dont je me souviens des confidences qu’il Lui est arrivé de faire provient d’une série de courts instants éparpillés sur plusieurs années. Je ne crois pas que cette attitude ait été la conséquence d’une pudeur ou d’une volonté d’entretenir un secret.
Pour Lui, c’était tout simplement sans importance; Il avait, disait-Il, mieux à faire qu’à nous confier ses souvenirs « humains ». Cette partie humaine, celle qui portait le titre de Frère essénien, se montrait pourtant toujours extrêmement présente.
Aujourd’hui encore, je demeure persuadé que c’est cet aspect, en apparence secondaire, qui a contribué à immortaliser sa Présence et son Oeuvre. La croyance populaire, essentiellement entretenue par l’Église catholique romaine, veut que Jeshua soit né Christ, c’est-à-dire dans toute sa conscience et sa perfection, quasiment dès l’instant de son premier cri. Selon cette affirmation, Jésus n’aurait rien eu à apprendre puisque, d’emblée Il était Dieu incarné et que, par conséquent, Il avait la Connaissance et la Puissance absolues…
En tant que témoin de ce qui s’est passé il y a deux millénaires, j’affirme que cette vision des choses est d’une naïveté tout à fait étonnante et entretient un mensonge. Que le petit Joseph – le futur Jeshua – ait manifesté des connaissances et des talents exceptionnels dès sa tendre enfance est incontestable mais prétendre qu’Il ait été pleinement Lui-même et parfaitement « christ » dès le départ résulte d’une ignorance totale des lois de l’évolution imposées par le seul fait de l’incarnation. Je dirai que Jeshua, avant même que de pouvoir porter le titre de rabbi, a eu à travailler pour se re-souvenir de sa propre nature, donc pour se reconnecter avec sa mémoire profonde et redécouvrir sa charge..
Quand il Lui arrivait de céder à nos questions, Il ne s’en cachait pas. Il parlait de Lui humblement comme d’un élève qui avait dû faire face à ses propres difficultés et à des enseignants incroyablement exigeants, d’autant plus exigeants que ses maîtres pressentaient à Qui ils avaient affaire. Dans de tels moments, nous comprenions alors que la grandeur d’un être n’était pas donnée à celui-ci par quelque grâce divine mais que cet être devait l’extirper de lui-même pour la ressusciter des profondeurs de la Maîtrise acquise de ses vies passées.
Un jeune enfant ou un adolescent sont toujours enfant ou adolescent devant se plier aux rythmes naturels de la maturation… même si leur être essentiel renferme le plus inouï des diamants. Pour ma part, lorsque re-défilent en moi les images précises des moments d’intimité et de partage dont il m’est arrivé de bénéficier avec le Maître, il me semble impossible de parler du Christ qu’Il manifestait tout en faisant exclusion de l’homme qu’Il continuait d’être. Celui-ci avait les mêmes besoins que nous. Il avait faim et soif ; Il éprouvait de la fatigue, parfois même Il tombait de sommeil… et il Lui arrivait de ronfler. Cela paraît peut-être stupide ou prosaïque à préciser mais, même si sa conscience était d’une nature différente de la nôtre et développait constamment une volonté et des capacités stupéfiantes, son corps était bel et bien un corps humain. Tout comme nous, le Maître pouvait s’entailler la plante du pied en marchant sur une roche coupante; tout comme nous, Il devait se protéger de la brûlure du soleil et de maintes autres choses.
Je dois dire qu’à plusieurs reprises, je l’ai même vu pleurer; dont une fois à chaudes larmes, lorsqu’Il apprit la décapitation du Baptiste. À l’époque, cela nous paraissait normal car nul ne pouvait ressentir de honte dans l’expression de sa peine. Aujourd’hui, dans notre monde occidental, il en va tout autrement. Lorsqu’un homme ne parvient pas à contenir ses émotions ou qu’il ose les laisser s’exprimer, on se prend souvent à le trouver faible et sans contrôle de lui-même. En fait, tout ceci est purement culturel. Cependant, lorsqu’il m’arrive d’évoquer les larmes du Maître Jeshua, on me pose souvent cette question: « Il avait donc des émotions? »
Eh bien oui, Jeshua, l’homme, le rabbi, était capable d’émotions. Et j’ajouterai que, par bonheur, Il éprouvait des émotions…
[…]
Pour parler encore de Jeshua en tant qu’homme, il n’est sans doute pas inutile de signaler que, malgré la dimension spirituelle qu’Il incarnait d’évidence, Il avait l’humilité de demander de l’aide lorsqu’Il en avait besoin. Je me souviens qu’il Lui arriva de se blesser l’articulation d’un genou en enjambant des rochers dans les montagnes surplombant le lac de Galilée. Il demanda un massage à l’aide d’un onguent puis qu’on le déchargeât de son sac pour le reste de la journée. On me dira: « Mais ne pouvait-Il pas se guérir Lui-même? » Il l’aurait vraisemblablement pu en faisant appel à ses liens avec le monde subtil mais il est clair que son intention était de demeurer le plus humain possible parmi les humains. Je ne l’ai jamais vu utiliser ses capacités – disons miraculeuses – dans le cas d’événements simples appartenant à la banalité du quotidien. Ainsi, par exemple, lorsque nous avions faim, Il ne se serait pas « amusé » gratuitement à matérialiser de la nourriture. Nous nous en procurions par les voies normales: achat, troc ou service rendu. Lorsqu’il Lui est arrivé d’utiliser ses pouvoirs dans ce domaine, c’était toujours en vue d’un enseignement afin d’illustrer la toute puissance de l’Esprit.
Du reste, nous mangions fort peu. L’homme qu’était le Rabbi Jeshua ne contraignait personne au jeûne ou à la frugalité. Son rayonnement seul induisait le fait que nous pensions peu à une abondance de vivres. Par contre, celle-ci nous était offerte de temps à autre, tel un véritable présent du Ciel lorsque, par exemple, un Sadducéen quelque peu dissident ou téméraire nous invitait en sa demeure. Quand on Lui proposait un peu de vin, le Maître ne dédaignait pas celui-ci. Sans jamais en abuser, Il reconnaissait l’apprécier pour la détente et la joie dont son principe pouvait être porteur. J’ai entendu quelques-uns de nos contemporains affiliés à certains regroupements religieux prétendre qu’il ne s’agissait pas vraiment de vin… mais plutôt de jus de raisin ! Quelle plaisanterie ou, plutôt, quelle hypocrisie! Jamais le Maître ne fut un poseur de barrière ou un dresseur d’interdits. Il incarnait un merveilleux message de liberté et de tempérance, ce qui a toujours hérissé le poil des Pharisiens… ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui !
Jésus, l’homme, était étonnamment libre, libre et déconcertant, capable de changer de direction géographique en l’espace d’un instant comme un animal qui aurait senti quelque chose dans le vent, un danger ou une invitation. Le suivre devenait donc un exercice de lâcher-prise continuel. À ce sujet, Il nous incitait souvent à nous rebeller sur le bord du chemin. – « Alors si, d’un coup, je me jetais du haut de ce rocher, vous me suivriez? » Et Il ajoutait encore parfois: « Il peut m’arriver de chercher mon chemin… Je ne veux pas dire mon chemin intérieur – celui-là est gravé – je veux parler de mon « chemin de terre ». Je ne suis pas un bloc de granit, voyez-vous; mon Père m’a donné la liberté de mes mouvements, alors l’hésitation que peut éprouver la plante de mes pieds est aussi un cadeau… Ceci est un plus grand enseignement qu’il n’y paraît: Retenez-le… » La Tradition colporte le fait qu’Il aurait appris le travail du bois auprès de son père durant son enfance. C’est exact mais, en réalité, Il montrait peu de dispositions pour ce genre de tâche. Il n’aimait guère cela. Par contre, Il pouvait prendre plaisir à ériger ou à réparer un muret de pierre, à tailler un arbre ou encore à aider un paysan à ensemencer son carré de terre. Les travaux liés à la matière ne le rebutaient pas. En ce sens, Il mettait scrupuleusement en pratique la façon d’être qui était enseignée au Krmel.
Pour Lui, de la même façon qu’un arbre ne poussait pas sans racines, il était indispensable qu’un être humain ne soit jamais étranger aux choses de la terre. À ses yeux, la perméabilité entre les mondes que l’homme est amené à côtoyer et dont il est naturellement issu devait être impérativement entretenue. Jeshua ignorait la notion de coupure ou de rupture. S’il Lui arrivait de ne plus souhaiter être en contact avec telle ou telle personne ou de ne pas retourner dans certains endroits, Il ne considérait sa décision que comme une parenthèse momentanée, une parenthèse qui se verrait un jour ou l’autre ré-ouverte de façon constructive en des temps plus propices puisque toutes les âmes étaient amenées à nécessairement communier au bout de leur évolution.
Si un rapport conflictuel se dessinait entre Lui et quelqu’un d’autre, Il vivait la situation de manière tout à fait dépassionnée, un peu comme un acteur qui ne se laisserait pas « manger » par le rôle qu’il interprète et qui garderait une constante altitude par rapport au scénario. En tant que témoin, je vous assure que cela ne signifiait nullement qu’Il adoptait une attitude froide, détachée ou lointaine lors des situations de tension. J’ai constaté à maintes reprises que le Rabbi pouvait éprouver de la peine. Il n’a jamais été un bloc de marbre difficile à entailler au burin. Il avait seulement une extraordinaire capacité à prendre une distance très rapide relativement à une situation agressante ou blessante. Si on dit de quelqu’un qu’il parvient à vivre dans l »‘ici et maintenant« , c’était exactement son cas. Non pas que sa mémoire s’ingéniât à ne vouloir conserver que les choses agréables de l’existence mais parce que tout son être se montrait capable de transcender avec une vitesse étonnante chaque blessure ou chaque agression.
La notion de ressentiment Lui était inconnue. L’insulte, la médisance ou la calomnie glissaient sur Lui… au point où il s’en trouva de temps à autre pour dresser de sa personne le portrait d’un lâche ou d’un peureux. Dieu sait pourtant que ces deux tristes qualificatifs ne pouvaient en aucun cas s’appliquer à Lui! Régulièrement, en effet, c’était Jeshua qui, par ses prodiges ou ses paroles, générait des situations dont Il pouvait prévoir qu’elles déclencheraient des tempêtes et se retourneraient contre sa personne. Le Rabbi était, par essence, un provocateur. Non pas qu’Il aimât les ambiances conflictuelles mais parce qu’Il estimait qu’une partie de la tâche qui Lui incombait était de secouer l’être humain pour mettre en évidence ses attitudes mentales poussiéreuses et toxiques.
Du reste, la seule présence physique de l’homme qu’Il était ne pouvait pas passer inaperçue. Si elle fascinait, elle dérangeait tout autant ceux dont le coeur était sec ou constamment sur la défensive, prêt à se fermer comme une huître. Tout d’abord, sa stature était bien supérieure à celle de la moyenne. Dans une foule, qu’on l’ait voulu ou pas, on ne remarquait que Lui avec sa longue chevelure sombre, légèrement auburn et sa barbe toujours finement entretenue. Quant à son regard, si vous parveniez à le croiser, il était de ceux que l’on ne peut pas lâcher tant il allait chercher loin en vous quelque chose que vous ignoriez vous-même. Je crois pouvoir dire que beaucoup étaient indisposés par ce regard parce qu’il avait la particularité de mettre l’âme à nu et parce qu’il nous disait tout de suite que nous ne pourrions pas tricher… ce qui n’arrangeait pas tout le monde, évidemment! Il n’était pas question pour Lui, dans sa réalité quotidienne humaine, d’imposer quoi que ce soit de Ce qui L’habitait. Ce n’était donc pas sa façon d’être qu’Il espérait nous inculquer. Il mettait plutôt tout en oeuvre pour nous révéler la nôtre, c’est-à-dire notre état de servilité et de coupure d’avec notre essence.
L’homme Jeshua ne parlait pas aussi souvent de son Père que ce que mettent en exergue les Écritures canoniques. L’homme, le rabbi, nous entretenait d’abord de nous, de nos invraisemblances, de nos contradictions, de nos passivités, de nos peurs… en résumé de nos petitesses en regard des arrogances que nous affichions. Pour cela, Il n’avait aucune retenue dans ses discours. Il employait les termes que maniait le peuple dans sa vie ordinaire. Il ne craignait pas non plus les plaisanteries à la limite de « ce qui pouvait se dire », pour peu que celles-ci soient porteuses d’une réflexion allant dans le sens de l’ouverture du coeur. Les prêtres de tous bords Lui reprochaient souvent cette attitude, arguant qu’Il « ratissait trop bas et trop large » pour pouvoir prétendre qu’Il se faisait l’interprète des Paroles du Très-Haut. Pour Lui cependant, qui se contentait alors de sourire, il n’y avait « ni trop bas, ni trop large », de la même manière qu’il n’y avait jamais de « trop haut ». Avant le Maître, l’homme en Lui voulait parler vrai, c’est-à-dire s’exprimer selon son coeur et selon le degré d’ouverture des oreilles auxquelles Il s’adressait. En cela, bien qu’Il fût lettré, les lettrés ne L’appréciaient généralement que très modérément. Pour tout résumer, Il ne faisait le jeu de personne. Pas même de ceux de la Fraternité essénienne. Est-il utile de préciser que ces derniers refusaient de voir en Lui davantage qu’un rabbi audacieux, voire prétentieux et passablement hérétique ? Rares sont ceux, dans sa propre communauté d’origine, qui ont eu l’humilité de reconnaître en Lui le Maître de Sagesse et, plus tard, le Massiah1 qu’ils disaient attendre.
(1) Le terme de Massiah – le Messie – est pratiquement l’équivalent du mot Christ, l’Élu, l’Oint, c’est-à-dire le Béni par l’Éternel.
Les messages Esséniens – Daniel Meurois-Givaudan - les enseignements premier du Christ.
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