Des paraboles aux miracles
Lorsque je place mon regard vingt siècles en arrière, ce dont je me souviens le moins c’est précisément ce qui, du Maître, reste « canoniquement correct » aujourd’hui, je veux dire ses paraboles.
La Chrétienté dans son ensemble aurait tendance à croire que le Christ Jeshua a été l’inventeur du genre. Il n’y a rien de plus faux. La parabole constituait un mode d’enseignement extrêmement courant à travers tout le Moyen-Orient. Il fallait, je le répète, savoir retenir l’attention d’un peuple inculte. Quoi de plus évident, dès lors, que les récits de petites histoires incitant à la réflexion et permettant d’orienter sainement la conduite quotidienne de tous?
Un certain nombre de ces historiettes placées dans la bouche du Christ par l’intermédiaire des Évangiles n’étaient d’ailleurs pas de son invention personnelle. Le Maître reprenait fréquemment de grands thèmes connus, son art étant dans la façon de les raconter, donc de leur donner vie en public, puis de les commenter d’une voix qui ne pouvait laisser indifférent. Bien sûr, Jeshua fut également l’auteur d’un grand nombre de paraboles. Il ne faudrait pourtant pas s’imaginer qu’Il en inventait une nouvelle à chaque fois qu’Il s’exprimait publiquement. Certaines faisaient figure de « classiques » et on les lui réclamait régulièrement… comme le font parfois les enfants avec leurs contes préférés, ceux qu’ils connaissent par coeur, c’est-à-dire qui touchent leur coeur.
En marge des paraboles, il me faut rapidement évoquer le célèbre Sermon sur la Montagne. En effet, on attribue celui-ci à tort au Christ. Le jour où Ille prononça, le Maître ne faisait que reprendre, à sa manière, un très vieux texte issu de la Tradition nazarite et que beaucoup connaissaient déjà. La plupart des paraboles composées par Lui se fondaient sur la spontanéité de base, voire la candeur, de ceux à qui Il s’adressait, deux qualités que nous avons presque totalement perdues face au déferlement mental qui s’est emparé de notre société. Elles étaient donc intentionnellement simples… Il faut cependant savoir qu’après chaque narration publique de l’une de ces historiettes, le Maître entrait progressivement dans des digressions qui nous emmenaient, quant à elles, bien plus au coeur de ce qu’Il avait à nous délivrer.
Inutile de dire que l’auditoire se faisait alors plus rare… Seuls demeuraient présents ceux qu’Il prenait spécifiquement à parti et qui ne pouvaient se dégager du « labourage » d’âme entrepris sur eux et ceux qui étaient capables de véritables abstractions métaphysiques.Je dois dire qu’un certain nombre de ces « digressions » ont été scrupuleusement notées par Jean ainsi que par un autre disciple majeur sur lequel je reviendrai, Judas… deux des rares lettrés entourant le Christ. La quasi totalité de ces notes ont, bien sûr, été détruites et leurs éventuelles traces dans les Évangiles canoniques ont été censurées. Vérités et déformations À titre d’exemple, je citerai ici cette célèbre formule extraite de l’Évangile de Mathieu par laquelle l’Enseignant conseille de « laisser les morts enterrer les morts ». On la commente souvent en disant que le Maître insistait pour que chacun s’occupe de son propre perfectionnement dans notre monde et tente de vivre dans l’apaisante beauté de « l’ici et maintenant » sans se lamenter devant la précarité de la vie terrestre.
Cette interprétation n’est pas fausse… Cependant, en raison de la censure, on ignore que cette déclaration du Christ n’était, en fait, que la conclusion d’un très long enseignement sur les mondes de l’après-vie. Un enseignement qui visait à faire connaître la nature des «nombreuses demeures de la Maison de [son] Père ». Il y était question des différents cheminements de l’âme après la mort du corps physique et cela se terminait par une mise en garde adressée à ceux s’adonnant à des pratiques de nécromancie. Lorsque l’on réalise ce fait, je veux dire le type de censure pratiqué, cela change évidemment tout et on comprend mieux pourquoi je me suis permis de parler d’un appauvrissement de ce qui fut très clairement délivré il y a deux millénaires. Les exemples analogues à celui-ci sont nombreux.
Considérons également l’épisode non moins célèbre dans lequel il est dit que le Maître chassa des démons du corps de deux hommes, qu’Il projeta ces démons dans deux porcs… lesquels allèrent aussitôt se noyer. Cette pratique d’exorcisme, il faut le savoir, est attribuée à tort au Maître. Si sa mise en oeuvre était classique par le biais des rituels de désenvoûtement faisant l’apanage de ceux qu’on appelait les magiciens du désert, elle n’a rien à voir avec les méthodes d’action du Christ. En effet, Celui-ci respectait absolument toute forme de vie à tel point qu’Il s’est toujours refusé à sacrifier la moindre existence animale même pour des raisons apparemment impératives. ‘Il l’a fréquemment clamé, Il n’avait jamais besoin d’avoir recours à des pratiques dites occultes pour agir au niveau de l’âme et des mondes subtils. Lorsqu’Il avait à opérer des exorcismes, Il nous disait qu’Il appelait à Lui l’Amour divin avec une telle force qu’Il sentait Celui-ci passer à travers Lui comme une bourrasque venant Le frapper par la nuque pour se projeter aussitôt vers le malade. À ce propos, je me souviens qu’Il proposa à trois ou quatre d’entre nous, rompus à la perception des corps subtils, de l’observer tandis qu’Il oeuvrait ainsi. Faisant partie de ce petit groupe, je pus constater que son aura entière se propulsait avec une certaine violence en avant de son corps comme pour souffler un « vent de nettoyage » sur l’organisme et l’âme de la personne souffrante. Le phénomène, qui ne dura pas plus de deux ou trois secondes, eut pour effet de nous ébranler également ; nous avions soudainement l’impression d’avoir bu quelques coupes de vin en trop… Cette sensation d’ivresse dura peu de temps mais elle nous fit merveilleusement prendre conscience de la justesse de l’expression « le Souffle de l’Esprit ».
Puisque j’en suis à évoquer certaines vérités déformées ou tronquées par les Écritures officielles, je citerai encore toujours à titre d’exemple – ces paroles extraites de l’Évangile selon Mathieu (6 – 22) : « La lampe de ton corps, c’est l’oeil. Si ton oeil est sain, ton corps tout entier sera lumineux». En étant tant soit peu attentif, on réalise vite de quoi il est question ici. Le mot oeil est au singulier et non pas au pluriel ainsi que cela devrait être, en toute logique. En vérité, cette déclaration est extraite d’une série d’enseignements consacrés au développement de ce qu’on appelle classiquement le « troisième oeil », cet oeil psychique dont l’ouverture dépend de la pureté de la conscience puis du corps. Il faut savoir que le Christ accordait une importance toute particulière à la transparence de l’âme, s’opposant ainsi à l’attitude traditionnelle de la classe sacerdotale de son temps… et même à celle d’un certain nombre d’Esséniens ou de Nazarites qui se perdaient souvent dans de longues ascèses visant à nettoyer le corps. Si on lit bien ce qui est dit dans les paroles rapportées, il est donc question ici d’accorder une importance première à la « santé de l’Oeil »… laquelle rejaillira sur celle du corps tout entier, non pas dans son aspect physique mais subtil puisqu’il est question de sa lumière, c’est-à-dire de son aura. Dans le très long enseignement qu’Il consacra à la question, le Maître Jeshua insistait donc sur l’extrême importance de la pureté de l’âme. Je me souviens qu’Il ne manquait pas une occasion de nous rappeler cela comme une condition de base à toute floraison spirituelle. Il s’inscrivait ainsi en opposition par rapport aux pratiques de purification corporelles et mentales forcenées telles que les recommandaient quelques ermites esséniens des alentours de Qumran que l’on qualifierait aujourd’hui de « fondamentalistes« . Bien qu’Il respectât le corps et qu’Il utilisât même celui-ci en tant que tremplin possible à l’ascension de la conscience vers ses demeures supérieures, il était évident pour Jeshua que « la cristallinité de l’âme » était la pierre angulaire du temple solaire auquel Il travaillait en chacun. Dans sa pensée, il ne pouvait y avoir de place pour l’hypocrisie, la duperie et « l’auto-mensonge » chez qui que ce fût qui entendait réellement croître dans la proximité du Divin.
Ainsi, lorsqu’Il abordait, dans des cercles extrêmement restreints, certains aspects de la discipline tantrique, Il insistait toujours sur le fait que la pratique elle-même, fût-elle parfaite dans son aspect technique, ne servait pas à grand chose sans une âme – c’est-à-dire un oeil intérieur pure, candide et parfaitement bien orientée. S’Il admettait sans jugement et avec compassion l’erreur ou la maladresse dues à l’errance que présuppose toute quête, je puis dire qu’Il se montrait généralement très tranchant face au Mensonge. À ce propos j’ajouterai que, s’Il se refusait à définir ce qu’est la Vérité, Il n’en faisait pas de même vis-à-vis du Mensonge. À ses yeux, le véritable mensonge n’était pas une sorte d’erreur commise face à une certaine vérité mais le résultat d’une tournure d’esprit visant à tromper intentionnellement l’autre. C’était donc l’aspect manipulateur et dominateur en l’être humain qu’Il dénonçait avant tout comme obstacle à l’ouverture du coeur. Le Menteur, pour Lui, n’était pas tellement l’homme qui s’égare classiquement dans de petits mensonges quotidiens mais celui qui faisait de l’hypocrisie, de la duplicité et, par conséquent, de la manipulation son pain de chaque instant. Ainsi, lorsqu’Il s’en prenait aux Pharisiens, Il les citait moins en tant que classe sociale dont Il appréciait peu le comportement que comme symboles d’une façon d’être incompatible avec toute prétention d’ordre spirituel.
En réalité, je ne L’ai personnellement pas entendu très souvent s’en prendre nommément aux Pharisiens, beaucoup moins que ne le laissent entendre les Évangiles. Si le Maître était volontiers provocateur, Il se montrait aussi très habile orateur. Il était donc rare qu’Il attaque de front certaines personnes. Je pourrais dire aujourd’hui que, tels les maîtres en arts martiaux, Il se servait volontiers de la force de ses opposants pour déséquilibrer ceux-ci sans avoir besoin de leur porter Lui-même le moindre coup. C’était cela aussi qui irritait le clergé… son côté plutôt insaisissable et inattendu. Enfin, pour en terminer avec les exemples tendant à montrer de quelle façon les enseignements du Christ ont été largement tronqués, je citerai une dernière fois Mathieu (71-2) dans lequel on lit ceci : «Ne jugez pas afin de n’être pas jugés car du jugement dont vous jugez on vous jugera et de la mesure dont vous mesurez on vous mesurera. » Voilà une sentence adaptée d’un enseignement qui nous fut délivré une nuit entière autour d’un feu sur un petit coin de terre adjacent à la maison de Marthe, à Béthanie. Cet enseignement, il est facile de le deviner, était essentiellement consacré à la notion de karma… laquelle n’était pas étrangère aux contemporains du Maître puisque l’idée de réincarnation était admise à l’époque. Comme on le voit ici, non seulement le principe du karma en tant que tel est totalement évacué du texte attribué à Mathieu mais il est dangereusement remplacé par un principe punitif.
Dans ces lignes, il nous est dit en quelque sorte: « Ne jugez pas, non pas parce que c’est contraire à la Lumière… mais ne jugez pas pour ne pas vous faire punir »… Mise en garde qui, dans son essence, ne signifie pas du tout la même chose. Une telle affirmation revient un peu à déclarer implicitement: « Ce n’est pas pour la Lumière que vous ne devez pas juger, mais pour votre intérêt personnel basique, à savoir pour ne pas être punis. » Où est l’Amour dans une telle démonstration? On est en droit de se le demander car, en continuant un peu dans une telle direction, le fameux pari de Pascal n’est pas bien loin! Ici, l’intérêt personnel et un évident égoïsme passent avant l’Amour et la compréhension du fonctionnement de la loi d’équilibre de la Vie. En schématisant à peine, le texte attribué à Mathieu nous dit en conséquence: « Faites ceci, sinon vous serez punis. » Quant à moi, je puis affirmer que le Christ ignorait ce genre de sinon. Il enseignait véritablement, c’est-à-dire qu’Il stimulait l’intelligence à la fois cardiaque et cérébrale de son auditoire sans avoir besoin de l’ébranler par des menaces de sanction. S’il Lui arrivait de dire « Faites ceci et non pas cela », c’était toujours en expliquant le pourquoi de son conseil, autrement dit en tentant de faire comprendre l’agencement des lois cosmiques et la façon dont l’être humain était naturellement en résonnance avec elles.
Par ailleurs, à quoi ou à qui correspond le « on » du « on vous jugera» de l’Évangile de Mathieu? S’il s’agit de Dieu, c’est une façon bien cavalière de Le nommer, s’il s’agit des hommes ce ne peut être qu’en référence à la loi de cause à effet du karma car chacun sait bien que celui qui commet un acte néfaste n’est pas nécessairement sanctionné par un « retour de bâton » dans sa vie présente. Le problème c’est qu’en lisant de telles paroles, personne ou presque ne se pose avec lucidité la question de l’identité du « on ». Lorsqu’une religion dévitalise la moelle de la Connaissance qui est à sa base, lorsqu’elle souhaite manifestement que ses fidèles en restent à un point de réflexion élémentaire afin de mieux régner, comment s’étonner qu’elle finisse tôt ou tard par s’essouffler? Ce n’est ni la Présence du Maître Jésus, ni la Conscience christique qui sont en recul aujourd’hui en Occident mais les images limitées et infantilisantes qui en ont été véhiculées depuis deux millénaires.
Les messages Esséniens – Daniel Meurois-Givaudan - les enseignements premiers du Christ.
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