Zérah

fleur /  Par-dessus l’épaule de mon père, je vis ma mère qui me regardait. Elle s’était accroupie dans la pénombre sur une petite natte et préparait machinalement le repas du lendemain ; une galette et quelques olives. 

Ainsi, il allait se passer quelque chose ; ma petite vie qui semblait vouloir s’écouler de façon monotone entre le désir de semer le lin et celui de courir derrière les caravanes de Jappa pouvait être secouée. J’eux alors la furtive sensation que jamais je n’avais compris ce que j’avais vu, ou que l’on m’avait pris pour un enfant alors que j’avais le droit de savoir… le lendemain, le bourdonnement chaud et lancinant des premières abeilles me tira du sommeil. Ma mère était déjà allée remplir les cruches au bas du sentier et se lavait dans la cour tandis que le crissement du tour témoignait du labeur de son époux. Mon impatience précipita les événements et, quelques instant plus tard je sautais, courais entre les  buissons et les oliviers pour parvenir jusqu’à « la maison de l’ancien puits ». 

Zérah était un vieillard à la longue barbe grise légèrement roussie de-ci, delà, par le soleil  et les années. Je l’avais souvent entrevu au cours de mes jeux et je savais que beaucoup lui témoignaient du respect et une certaine admiration. C’était un de ces vieux personnages au visage parcheminé, creusé de longs sillons, au regard à la fois doux et perçant, aux paroles tantôt énigmatiques, tantôt limpides, un de ces vénérables dont les marchand comportaient le portait à travers leurs histoires. 

-       Paix à toi Joshé, fit-il  à mon père qui me poussait devant lui.je savais que tu n’allais pas tarder à me l’amener, celui-ci. 

Dans une longue robe de lin d’un blanc passé, Zérah se tenait debout sur le seuil de sa porte et tendait les bras dans ma direction. Il me prit par la main et je fus tellement subjugué par sa grosse poigne calleuse que je ne me rendis même pas compte que mon père ne nous suivait pas dans l’ombre fraîche de la demeure. L’habitation du vieillard me parut plus pauvre encore que la nôtre qui, cependant, n’était pourvue que du minimum. Dans l’unique pièce, à la clarté chaude et poussiéreuse d’une minuscule fenêtre, je ne vis que deux ou trois nattes et quelques ustensiles disposés sur la terre battue. 

Zérah me fit tranquillement signe de m’asseoir et lui-même, les jambes repliées sous son corps, prit place face à moi. Dans la pénombre, sur le mur du fond, mon regard eut juste le temps de s’attarder sur une sorte d’étoile à huit branches toutes égales. Je n’en fus pas étonné : nous possédions la même. -       Simon, tu as maintenant l’âge de savoir ce que tu fais ici, et qui nous sommes . Ecoute-moi bien : as-tu déjà regardé nos vêtements ? 

-       Oui, dis-je aussitôt, nos vêtements sont blancs, ils ne sont pas comme ceux de la ville ; ils piquent aussi la peau, mais mon père dit que c’est bien et que cela passera. Avec un léger sourire, le vieillard reprit : 

-       Le problème n’est pas qu’ils piquent, Simon, le problème est qu’ils sont différents des autres. Ceux des hommes et des femmes qui suivent la loi de la ville et eux des soldats sont bleus, jaunes, rouges, de toutes les couleurs. C’est bien que tu l’aies remarqué. Mais sais-tu pourquoi cela ? C’est parce que les hommes de Jappa ne parlent pas la même langue que nous, ils ne parlent pas la langue douce… -       Mais je les comprends ! répliquai-je violemment. 

-       Tu comprends leurs paroles, mais bientôt tu sauras que tu n’entends pas leur cœur et que, pour aller à eux, il te faudra peiner. C’est cela qui sera difficile, car si toi tu désires écouter les battements de leur vie, eux ne voudront pas souvent écouter les tiens. Mais tu n’es pas venu pour entendre des paroles amères Simon, tu es venu pour apprendre à regarder et à penser. 

Depuis longtemps, tu as compris que nous ne vivions pas comme ceux des villes et comme les marchands aux chameaux ; maintenant, il faut que tu saches pourquoi…. Imagine un immense champ de lin que se partagent les membres d’une même famille. Chacun vient à se marier et à de nombreux enfants. Il ya ceux de Joseph, ceux de Saül, de Jacob et bien d ‘autres encore. Il y en a tant et tant qu’ils ne se reconnaissent bientôt plus et se battent. Certains y perdent leur lopin de terre et, pour survivre, doivent demander asile aux autres qui les supportent à peine. 

La Terre entière, vois-tu Simon, est semblable à ce champ de lin et nous sommes, dans ce village de Jappa et dans quelques autres, comme les survivants d’une ancienne guerre où nous avons perdu les biens matériels dispensés par notre père. Nous sommes en exil chez des parents qui ont oublié notre source commune. Nous sommes les survivants d’une époque où le soleil ne montrait point tant sa face qu’aujourd’hui mais où pourtant, ses rayons réchauffaient plus les cœurs. Nous sommes aussi une épine dans le talon d’un géant… Ne me regarde pas avec ces yeux, tu t’en rendras compte rapidement.  Extrait de : De Mémoires d’Esséniens : tome 1- L’autre visage de Jésus pages 16 à 18 –  par Daniel Meurois et Anne Givaudan aux éditions Le Perséa en 2000. 

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