Retarder la satisfaction
Ces dernières années, j’avais comme patiente une analyste financière d’une trentaine d’année. Pendant de longs mois, elle s’est plainte de ne pouvoir résister à la tentation de remettre à plus tard les tâches qui l’ennuyaient. Nous avions essayé d’analyser ses sentiments envers ses employeurs, ses rapports avec l’autorité en général et celle de ses parents en particulier. Nous avions étudié son attitude vis-à-vis du travail et de la réussite, et leur influence sur sa vie conjugale, son identité sexuelle, son désir de se mesurer à son mari et sa peur d’une telle compétition. Pourtant, malgré cet examen psychanalytique classique et minutieux, elle continuait à faire traîner les choses dans son travail. Finalement, un jour, nous avons osé nous penser sur l’évidence.
- Vous aimez les gâteaux ? lui demandai-je.
Elle répondit que oui.
- Quelle partie du gâteau préférez-vous, continuai-je, le gâteau ou le glaçage ?
- Oh, le glaçage ! me dit-elle avec enthousiasme.
- Et de quelle manière mangez-vous une part de gâteau ? m’enquis-je.
- Je commence toujours par le glaçage, évidemment !
D’après ces indices, nous pûmes dévier vers ses habitudes professionnelles, et nous découvrîmes, comme il fallait s’y attendre, que dans n’importe quelle journée de travail elle passait les deux premières heures à faire ce qui l’intéressait (environ la moitié du travail journalier) et les six autres heures au reste, qui était beaucoup moins passionnant. Je lui fis remarquer que si elle passait les deux premières heures à faire ce qui ne lui plaisait pas, le reste du temps serait fort agréable. Je lui dis que deux heures de douleur suivies de six heures de plaisir me paraissaient préférables à l’inverse. Elle fut d’accord et, comme elle avait de la volonté, elle changea.
Retarder la satisfaction, planifier les douleurs et les joies, se d’abord des premières pour mieux apprécier les secondes, c’est la seule manière de vivre bien.
Cette technique est connue des enfants dès le plus jeune âge, souvent vers les cinq ans. Par exemple, il arrive qu’un enfant de cet âge, lorsqu’il joue avec un petit ami, dise à ce dernier de commencer la partie afin de pouvoir savourer son tour plus tard. A six ans, les enfants mangent souvent le gâteau avant de toucher au glaçage. A l’école primaire, cette capacité précoce à retarder la satisfaction est pratiquée quotidiennement, particulièrement pour les devoirs. Vers l’âge de douze ans, certains enfants sot capables de se mettre à leurs devoirs, sans y avoir été poussés par leurs parents, et de les terminer avant de regarder la télévision. Vers l’âge de quinze ou seize ans, on pourrait s’attendre que ce comportement se prolonge, ce serait logique.
Mais les éducateurs se rendent vite compte qu’à cette période, un grand nombre d’adolescents s’éloignent de cette norme. Ce sont les élèves à problèmes ; malgré une intelligence moyenne ou parfois supérieure, ils ont de mauvaises notes simplement parce qu’ils ne travaillent pas. Ils sèchent les cours ou ne vont plus au lycée, selon leur humeur. Ils sont impulsifs et cela déteint aussi sur leur vie sociale. Ils prennent souvent par à des bagarres, se laissent parfois entraîner dans l’engrenage de drogues, peuvent même avoir des problèmes avec la police. Leur devise est : « profitons-en maintenant, nous paierons plus tard ». Alors on fait appel aux psychologues et aux psychothérapeutes. Mais, la plupart du temps, il semble que ce soit déjà trop tard. Ces adolescents sont très réticents à laisser qui que ce soit les dérouter tant soit peu de leur mode de vie, même lorsque l’intervention du thérapeute est chaleureuse, amicale, exempte de critique.
Leur impulsivité est tellement ancrée en eux qu’elle empêche leur pleine participation au travail de la psychothérapie : ils ne viennent pas à leurs rendez-vous et évitent les sujets douloureux ou importants. Alors l’essai se révèle inutile, ces enfants abandonnent leurs études, et ils continuent sur le chemin de l’échec, qui se poursuit en général par des mariages désastreux, des accidents, des séjours en hôpital psychiatrique ou en prison.
Pourquoi cela ? Pourquoi est-ce que la plupart des gens ont cette capacité de retarder la satisfaction, et qu’une minorité – toutefois assez importante – ne réussit pas, parfois de manière irréversible, à la développer ? La réponse n’est pas vraiment prouvée scientifiquement. Le rôle des facteurs génétiques n’est pas clair. Les variables ne sont pas assez contrôlables pour donner des preuves scientifiques ; mais la plupart des indices semblent indiquer que les parents jouent un rôle déterminant.
Voir discussion http://devantsoi.forumgratuit.org/t59-enfants-indigo#3100
Extrait de Le Chemin le Moins fréquenté – Apprendre à vivre avec la Vie – Les leçons fondamentales de l’existence de SCOTT PECK aux éditions Aventure secrète. Page 10 – Première partie.
Vos petits messages !