Le corps victime du moi
La fascination de la vie peut entraîner les fonctions subjectives à une expérimentation excessive. En empruntant notre terminologie, la lune et ses émotions, vénus et ses sentiments, mars et ses désirs, feront une farandole et s’exciteront mutuellement. C’est le corps qui paiera pour les responsables en amont, et assez rapidement. Les excès sexuels engendrent une faiblesse des reins, l’alcool condamne le foie et le sang, le tabac les poumons. Le surmenage intellectuel, si mercure joue au champion, et qui semble plus noble dans notre culture en étant tout aussi pervers, attaque sournoisement les nerfs et exagère l’ego mental. Les lentes vibrations des ondes spirituelles supérieures ne pourront plus y pénétrer pour permettre au cerveau de nouvelles opérations intuitives. Les excès alimentaires, dont la femme, yin, est très souvent la victime, produisent la paresse intellectuelle sous l’égide de la lune, puis des troubles dans toutes les parties du corps. Les hommes qui continuent de penser à leurs affaires en mangeant, sans diététique appropriée, développent des maladies cardio-vasculaires, comme si leur cœur manquait de place et appelait au secours. Et si l’on s’abandonne à la structuration et au contrôle permanents, un mental trop rigide, au-delà de la loi de conformité naturelle, engendre immanquablement des maladies osseuses ou articulaires, des maux de dos variables, et quelques manies. On peut même détailler. Une émotivité débordante et cultivée s’attaquera, finalement, à l’estomac, une peur chronique aux reins, une tristesse interminable aux poumons.
2 Bouddha avait raison !
Dans une société dont l’activité consiste essentiellement à créer de nouveaux besoins chez ses membres, se dégager de la fascination de l’objet s’apprend en psychothérapie et se développe dans la quête intuitive. Au dehors, l’on prendra le risque ridicule d’être considéré comme une personne qui aime perdre son temps, quand on se dégage des comportements utilitaristes, et qu’une intensité agréable à méditer, réfléchir, contempler la nature, faire de l’exercice physique, vient compléter l’intérêt pour les témoignages de ceux et celles qui ont accepté la brèche évolutive.
Et le docteur David Servan-Schreiber, dans guérir, précise que la perte du sentiment naturel du corps, perte indispensable à l’idéologie du profit qui aliène au travail, cause de bien nombreuses maladies qui pourraient être évitées par des moyens simples, dont la nutrition correcte et l’exercice physique régulier. Le corollaire est simple. L’objet qui fascine rend malade, l’attachement à l’argent, au plaisir, au travail, et même au bonheur considéré comme un esclave docile, tout ce qui monopolise l’esprit le dessert, le comprime et l’enferme. L’esprit veut être libre, épouser le ciel, soutenir le corps, aimer la Terre. Il traverse notre mental supérieur, tombe sur des intuitions qui, en trois secondes, viennent à bout de raisonnements pénibles et inachevés, il anime notre mental contingent toujours aux prises avec le pouvoir décisionnel et l’altérité, et se cache jusque dans le mental physique, une sorte de mort consciente, que le yogi supramental rencontre en descendant toujours plus bas, et dont toute évocation est vaine. Seule l’expérience renseigne. C’est ce dernier pouvoir, le plus lourd, le plus inconscient, et sans doute le plus ancien de tous, que le Divin cherche à transformer pour diviniser la Matière et la libérer de la mort. Les registres des pouvoirs subconscients sont nombreux, opératifs, fonctionnels, opportunistes. Les erreurs se paient, même si elles ne sont pas des fautes. Nous sommes remplis de volontés et d’intentions qui ne sont pas les nôtres, qui sont des mémoires vivantes, des procédures énergétiques, des parasites, des morceaux de semi-conscience vivace, et pourtant les voilà à l’œuvre à la moindre faille, nous envoyant les épreuves et les défis, soulignant les limites de notre volonté dans le sentiment d’impuissance. Evoluer est le seul chemin.
3 Marier le Yin et le Yang
C’est une attitude yang, volontaire, qui permet de créer ces espaces privilégiés d’épanouissement personnel consacrés au ressourcement et à la voie, où l’esprit aura du répit. Il sera établi que le moment, le seul intermédiaire entre le moi et le non-moi, sera délivré de finalités mesquines. Une fois qu’ils auront été créés, ces terrains de jeux donneront l’occasion de devenir réceptif en profondeur. C’est parfois difficile d’obtenir des espaces de vrai lâcher-prise, mais une fois installés, l’abandon de ses prérogatives personnelles se développe à l’intérieur, pour apprendre à écouter, voir, ressentir sans arrière-pensées, sans quête du résultat, pour apprendre à désapprendre, comme le disait déjà Lao-Tseu.
Le mouvement d’ensemble destiné à libérer du contrôle peut être partagé dans un groupe ou se mettre en place dans des moments de solitude. Le lâcher-prise permet une meilleure circulation des énergies mentale, émotionnelle, physique, et aide à réconcilier les hémisphères cérébraux. Les chinois connaissent ces techniques, où seule l’impulsion est volontaire, tandis que les gestes qui s’ensuivent font appel à l’énergie non musculaire, ou à la conscience du corps physique. Le yoga demande beaucoup plus de pratique pour arriver aux mêmes résultats, puisque le contrôle y est beaucoup plus important. Mais à un niveau de maîtrise rare et difficile à atteindre, les postures doivent s’installer d’elles-mêmes et procurer des états que le corps non travaillé ignore. Beaucoup de sports pratiqués avec une adresse relâchée, comme la longue randonnée, la natation, le snorkeling en eau chaude, débouchent aussi sur des échanges positifs entre les différentes parties de l’être, et peuvent même en certains cas déclencher une méditation naturelle régénératrice sans le moindre effort technique.
Les grandes cités empêchent l’hygiène de vie, d’où l’augmentation exponentielle des dépenses de santé en Europe, et le succès des pharmacies, puisque nous perdons nos défenses immunitaires de manière inquiétante, et faisons disparaître toutes sortes de symptômes, autant de signaux d’alarme, par de petits abrutissements chimiques. On ajourne ainsi sans cesse des rectifications indiquées par l’esprit global qui manipule le subconscient pour nous avertir. Cet état de fait culturel provient du mental du 18ème siècle, qui n’a cessé de se prolonger et de s’emparer de l’Histoire, et qui croit à la fragmentation du Réel — sans se rendre compte qu’à force de découper le grand puzzle en petits morceaux, la chance de le reconstruire s’amenuise. A l’opposé, comme certains médecins occidentaux ont enfin l’audace de l’établir, la vision chinoise du monde, la seule à proprement parler holistique depuis l’origine, nous propose l’acupuncture, peu soucieuse d’examens interminables, mais capable de sentir la fuite de l’équilibre, de l’homéostasie, et de la rétablir par des moyens simples.
4 Face au réel du non-gratifiant
Toutes les contraintes qui nous relient à la nature, et qui déterminent les conditions de la bonne santé, sont très peu prises en compte par le moi conditionné. Le corps physique demande plus d’attention que ce que notre éducation prétend, le refoulement des émotions, destiné à sauver la face en toutes circonstances, s’avère en fin de compte une stratégie idiote et somatisante. Refuser l’intuition au nom du cartésianisme et de la preuve expérimentale mutile une partie entière du cerveau. Il semble donc acquis qu’il faut aller voir de bien plus près les forces dont nous dépendons, pour respecter leur travail, le comprendre, éviter les retours de manivelle dus au stress, aux conceptions fausses du moi ou du non-moi. Cette aventure n’est pas rassurante au début. Voir que l’on est plusieurs dérange, se rendre compte qu’on n’est ni plus ni moins qu’une étagère biologique, et que chaque rayon veut caresser ses propres objets du désir, voilà qui propulse dans une saison en enfer. Puis c’est une fête. Les moi concurrents se séduisent, s’affrontent, le centre repère celui qui ne veut jamais s’élancer, celui qui veut temporiser, celui qui en veut toujours plus, celui qui abandonne, qui baisse les bras, celui qui s’arrange en tournant les choses à sa manière. Le moi évolutif veut accueillir des transformations fragiles mais souhaitables, qui seront refusées ou ajournées dans les étages inférieurs, comme les affects, les émotions, les habitudes addictives.
Voici un nouveau paradigme commun à la thérapie et à la voie, les deux démarches identifient plusieurs acteurs intérieurs. Accepter d’observer leur jeu n’est pas une attitude plus dangereuse que de subir soudain des conflits catastrophiques, ou des comportements réactifs qui entraînent là où l’on ne veut pas aller, après que les prises de conscience auront été ajournées trop longtemps. Nous sommes un véritable arc-en-ciel. L’identité n’est pas que de la volonté, ni que de la pensée, ni que de la mémoire vivante, ni que du sentiment, ni que des sensations organisées et des émotions — c’est un ensemble constitué de fonctions multiples. Nous allons nous familiariser avec les matériaux de l’alchimie spirituelle, les pouvoirs psychologiques conformes aux principaux corps du système solaire, et cet inventaire peut être une piste aussi bien pour mener sa propre thérapie que pour clarifier son ascèse. Différents mouvements s’ordonnent, se complètent ou rivalisent pour s’emparer du moment, et nous voilà déjà au pied du mur.
extrait du Traité d’alchimie vu sur : www.supramental.fr - Le site de Natarajan
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