Les signes vitaux de Gaïa
Prenons pour commencer la proportion d’oxygène dans l’atmosphère, qui se maintient depuis plusieurs centaines de millions d’années à approximativement 21% : s’il y en avait plus, soit à partir de 25%, les forêts brûleraient à la moindre étincelle jusqu’au dernier arbre d’un feu rageur et inextinguible ; s’il y en avait moins, surtout à partir de 15%, beaucoup d’animaux suffoqueraient. Orchestré par toutes les plantes et le plancton des océans qui produisent annuellement plus de 140 milliards de tonnes d’oxygène, cet équilibre de la proportion d’oxygène idéale pour la Vie est maintenu par rétroaction homéostatique, grâce à la photosynthèse qui transforme le gaz carbonique en oxygène. Pour mieux comprendre ce qu’est une rétroaction homéostatique, on pourrait comparer ce mécanisme régulateur à un thermostat contrôlant le chauffage central d’une maison. D’autre part, il faut se rappeler que sans l’apparition de l’oxygène et son maintien au niveau actuel, la couche d’ozone n’aurait pu se former et demeurer stable, permettant ainsi à la Vie de coloniser les surfaces émergées du globe.
Un autre gaz essentiel à l’équilibre chimique et climatique et qui se retrouve dans une proportion de 78% dans l’atmosphère que nous respirons est l’azote. Sans l’action continue de la Vie qui pompe constamment l’azote des sols et des océans où il se précipite sans cesse sous l’effet des éclairs lors des orages, l’atmosphère perdrait la majeure partie de son azote en quelques millions d’années. C’est plus de 500 millions de tonnes d’azote que les micro-organismes rejettent chaque année dans l’atmosphère, maintenant ainsi en équilibre un élément indispensable de la biosphère. Quant au méthane, un gaz très réactif qui disparaîtrait bien vite de l’atmosphère où il n’est présent qu’à l’état de trace (soit de l’ordre de 1,7 partie par million), il est continuellement libéré grâce aux fermentations d’une masse prodigieuse de micro-organismes, au rythme, là encore, d’environ 500 millions de tonnes par an. Sans méthane dans l’atmosphère, la Vie n’aurait pu se développer telle que nous la connaissons, ni ne pourrait survivre.
De même, la température moyenne à la surface du monde évite dans l’ensemble les écarts extrêmes, grâce au contrôle par les plantes et le plancton des océans de la proportion du gaz carbonique à « effet de serre » qui retient la chaleur du soleil dans l’atmosphère, un peu comme le font les vitres d’une serre. C’est environ 100 milliards de tonnes de gaz carbonique qui sont ainsi relâchées chaque année dans l’atmosphère. Un autre facteur important pour la stabilité du climat est la présence d’un couvert végétal, comme en Amazonie par exemple, qui favorise une pluviosité régulière grâce à l’évaporation par les feuilles. Sans cette évaporation, les pluies cessent et le désert s’installe rapidement comme on a pu le constater partout où de vastes forêts ont été coupées à blanc. La forêt de l’Amazonie, vieille de plus de 100 millions d’années, a pu ainsi permettre l’apparition de millions d’espèces uniques au monde, vivant ensemble en une étroite symbiose harmonieuse.
Mais ce n’est pas tout! Loveloch a fait une autre découverte fort importante pour démontrer une fois de plus l’étroit contrôle qu’exerce Gaïa sur son climat global. Tel que confirmé depuis par plusieurs autres scientifiques, Loveloch réalisa en 1971 que ce sont de microscopiques organismes marins qui, par la production de vastes quantités de diméthyl sulfhydrique, permettent la formation des gouttes de pluie au-dessus des océans. Comme les océans recouvrent les 2/3 du globe, l’absence de ce mécanisme vital à la formation des nuages aurait un effet dévastateur sur le climat global. De plus, ce même composé chimique accélère la désagrégation des roches des sols côtiers rendant de ce fait disponibles tous les éléments nutritifs nécessaires à la vie des écosystèmes terrestres et marins.
Une autre composante essentielle à l’harmonie de la biosphère est le taux d’acidité des pluies qui est normalement maintenu au degré optimal par la présence d’ammoniac dans l’air, à nouveau fruit de l’activité biologique. Pas assez d’acidité et les sels minéraux indispensables à la bonne santé des plantes ne seraient pas mis en circulation par réaction acide. Des pluies trop acides par contre délavent les sols de leurs éléments minéraux et affaiblissent d’autant les plantes, sans compter l’effet dévastateur d’une eau trop acide pour la survie des lacs et des rivières, comme on a pu le constater à bien des endroits au Québec et dans le nord-est des États-Unis.
Citons un dernier exemple : le taux de salinité des océans. Par un mécanisme encore incompris, les océans parviennent à maintenir à exactement 3,4% le degré de salinité de leurs eaux, ce qui est le pourcentage idéal pour toutes les formes de Vie peuplant les mers. Sans cesse, l’irrigation des continents amène par les fleuves et les rivières de nouveaux sels dans les océans, et ce, depuis qu’il a commencé à pleuvoir sur Terre. Pourtant, jamais sauf dans la mer Morte (justement!) le taux de salinité n’a-t-il dépassé 3,4%. Deux pour-cent de plus et toute Vie disparaîtrait des océans!
Il faudrait une longue étude pour parfaitement comprendre l’incroyable complexité de notre biosphère terrestre qui, par un enchevêtrement inouï de réactions chimiques et de phénomènes climatiques, nous démontre par son étroit contrôle des conditions favorables à son existence que seule la présence d’une intelligence globale peut expliquer la survie à long terme de notre bonne vieille Terre. Et nous sommes alors en droit de nous demander : S’il y a effectivement une intelligence globale qui gouverne toute Vie sur Terre, ce n’est sûrement pas le fruit du hasard si l’espèce humaine est apparue après des milliards d’années d’évolution… Quel est donc le rôle auquel cette intelligence nous destine dans son grand projet évolutif?…
C’est précisément pour tenter de répondre à cette question que nous allons nous tourner vers l’oeuvre d’un autre scientifique britannique, Peter Russell qui, par la publication de deux livres et lors de nombreuses conférences, a livré le fruit de ses recherches et réflexions à ce sujet. Selon la théorie révolutionnaire qu’il nous propose, l’espèce humaine serait l’équivalent d’une sorte de cerveau global à l’échelle planétaire, à travers lequel la conscience de Gaïa serait en train de s’éveiller. Ce même Peter Russell, a aussi récemment formulé une autre thèse, tout aussi fascinante, voulant cette fois que l’accélération exponentielle de l’évolution de la conscience et de l’accumulation du savoir humain atteigne sous peu une vitesse de progression quasi infinie, nous aspirant tous simultanément dans une sorte de trou blanc dans le temps, c’est-à-dire l’équivalent au plan temporel du phénomène astronomique connu sous le nom de trou noir. J’ai eu l’occasion de faire la synthèse de ces deux volumes pour la revue Luminance en 1993. Voici les principales idées que j’en ai retenues.
Gaïa s’éveille à travers nous
Comment ne pas s’émerveiller devant le prodigieux travail de synthèse réalisé par Peter Russell, d’abord dans La Terre s’éveille paru en 1982 et dans Le trou blanc dans le temps paru en 1992. Traçant avec brio une fresque détaillée décrivant l’évolution de la matière, de la Vie et de la conscience, ce brillant biologiste nous aide à mieux comprendre l’avenir incertain mais potentiellement grandiose de cette bonne vieille Terre et de son équipage humain. Mais décrivons d’abord le contenu de son premier livre.
D’emblée, Russell nous présente la théorie de Loveloch selon laquelle la Terre dans son ensemble se comporte, ainsi que nous venons de le voir, comme un seul et gigantesque être vivant, capable d’exercer un contrôle constant sur les multiples composantes de la biosphère de façon à protéger et à perpétuer les conditions favorables à la Vie qui s’y manifeste — du moins jusqu’à ce que l’activité destructrice et polluante de l’humanité ne vienne tout gâcher.
Et tout naturellement, Russell s’interroge sur le rôle dévolu à l’humanité dans cette symphonie harmonieuse de Vie orchestrée par l’omniprésente conscience planétaire. Sommes-nous effectivement destinés à devenir le cerveau global de cette gigantesque matrice vivante?… Ou alors sommes-nous, telle une immense tumeur maligne, autant de cellules cancéreuses proliférant à toute vitesse et accaparant pour notre seul profit toutes les ressources vitales de la planète jusqu’à ce que celle-ci en meure?… Cet écartèlement douloureux entre les potentialités phénoménales du devenir humain et le constat terrible de notre égocentrisme destructeur et maladif forme la trame de fond de la tension qui guide l’ensemble de la réflexion de Russell..
Une seule solution permettrait selon Russell d’espérer que nous franchissions sans désastre global cette étape cruciale de notre évolution : un profond changement de conscience amenant une transformation globale de nos valeurs, de nos priorités et de nos comportements. Cependant, pour mieux apprécier où nous allons, il vaut mieux d’abord commencer par comprendre d’où nous venons sur le plan physique et biologique, ce qu’il fait dans la première partie du livre, pour ensuite diriger notre attention sur l’évolution de la conscience, sujet auquel le reste du livre est consacré.
Après avoir expliqué comment l’univers est apparu dans une gigantesque explosion à partir du néant et comment les étoiles et les planètes se sont formées, il décrit successivement l’apparition de la Vie, la colonisation de la Terre, l’évolution des espèces et l’émergence de l’être humain, du langage et de la civilisation, comme j’y ai déjà fait allusion au début de ce document. Comme le dit si bien Russell dans son livre, en parlant de l’espèce humaine : Ce produit quasi incroyable de quinze milliards d’années d’évolution porte vraiment à l’émerveillement. Nous voici, chacun de nous constitué de septilliards d’atomes, ordonnés en un système intégré de quelques centaines de trillions de cellules biologiques, expérimentant le monde qui nous entoure et les pensées qui nous habitent, ressentant différentes émotions et maints désirs. Et, par-dessus tout, nous sommes conscients de toutes ces choses et conscients d’être nous-mêmes. Si quelqu’un avait été là il y a 4 milliards d’années, aurait-il jamais supposé que le paysage volcanique, les océans primitifs et l’étrange mélange de gaz de l’atmosphère auraient lentement mais sûrement évolué en un tel être aussi improbable et aussi complexe?
Pensons maintenant aux développements quasi inimaginables qui nous attendent dans l’avenir. Où l’évolution nous mène-t-elle? Pour tenter de trouver un début de réponse à cette question, Russell nous invite à considérer le sens général de l’évolution et les patterns qui ont caractérisé les processus évolutifs jusqu’ici.
Au début tout n’était qu’énergie. Puis la matière s’est formée. Ensuite, la Vie vint animer la matière. Enfin, du sein de la Vie est apparue la conscience de la conscience. Ces quatre étapes successives forment une progression graduelle vers une complexité de plus en plus grande. Certaines caractéristiques communes semblent se dégager selon Russell. La plus importante est l’existence d’un seuil critique à partir duquel un bond quantique d’un niveau de complexité à l’autre devient possible. Ainsi, par exemple, il faut, dit-il, au minimum 10 milliards d’atomes environ pour que puisse se constituer une cellule viable. De même, ce n’est qu’au seuil de 10 milliards de cellules nerveuses dans le cortex du cerveau humain, siège de la conscience auto-réfléchie, que cette forme de conscience peut semble-t-il apparaître. Une autre constante observée est l’accélération exponentielle du rythme de l’évolution alors que le temps requis pour le passage d’un échelon d’évolution à l’autre est de plus en plus court. Le passage de plus en plus rapide de l’ère agraire à l’ère industrielle, puis à l’âge de l’information et à l’âge de la révolution environnementale qui s’amorce reflète aussi cette constante.
Considérant ensuite l’augmentation rapide de la population mondiale qui culminera, estime-t-on, aux environs de 10 milliards d’individus au cours du prochain siècle, couplée à l’explosion dans les communications et les échanges intégrant dans un vaste ensemble de plus en plus interconnecté la communauté humaine devenue un « village global » pulsant de plus en plus à l’unisson, Peter Russell postule sa plus brillante spéculation; à savoir que l’humanité dans son ensemble serait sur le point de franchir une autre étape de l’évolution en s’unifiant en un gigantesque cerveau planétaire, constituant de ce fait un super-organisme social inédit jusqu’à ce jour. Après la géogenèse, c’est-à-dire la genèse de la Terre, et la biogenèse ou genèse de la Vie, l’évolution est arrivée au stade de la « noogenèse », la genèse de l’esprit, affirme-t-il. Il rejoint ainsi le concept présenté par Teilhard de Chardin qui a conçu l’idée de la « noosphère » pour décrire le système comprenant tous les esprits conscients. Nous assistons, conclut-il, à la planétarisation de l’humanité en une seule et vaste entité organique selon les paroles mêmes de ce célèbre philosophe moderne.
Après les quatre premières grandes étapes de l’évolution, soit l’énergie primaire créée par le Big Bang, puis la formation et la complexification de la matière, ensuite la naissance de la Vie et son évolution, et enfin l’éveil de la conscience qui est consciente d’elle-même, ce cinquième niveau d’évolution, ce nouvel ordre d’existence, est celui qui nous réserve à tous égards les plus grandes surprises! Cette conscience planétaire, née de l’unification de l’ensemble des consciences humaines embrassant simultanément tous les niveaux de conscience de toutes les espèces vivantes, sera, affirme Russell, comme l’éveil colossal d’un cerveau global, atteignant un niveau de cohérence similaire à celui du cerveau humain. La conscience de Gaïa, la Terre, s’éveillera alors soudainement.
Et ce qui pourrait contribuer à catalyser et déclencher cet éveil est la réalisation consciente, par une masse critique d’humains, de l’imminence d’un effondrement écologique sans précédent des fonctions vitales planétaires, à la suite de tous les déséquilibres écosystémiques que nous avons provoqués. Un bond évolutif d’une ampleur sans précédent serait sur le point de se produire sur l’ensemble du globe, à défaut de quoi la Vie, telle que nous la connaissons et notre propre espèce, risquent de disparaître à tout jamais.
L’ÉVEIL DE LA CONSCIENCE INTÉRIEURE
Par JEAN HUDON
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